Condamné à l’Eternité
Je marchais depuis un certain temps déjà. Je ne gardais aucuns souvenirs des événements passés. Cela aurait du m’intriguer mais je ne m’inquiétais pas pour une raison inconnue.
Quoi qu’il en soit, j’arrivais après de longs moments dans cette ville maudite. Si j’avais su la suite des événements, je me serais enfui à toutes jambes – si seulement je l’avais pu.
Le Hameau était une ville ancienne mais il m’est impossible de la décrire fidèlement. Cependant, je garde le souvenir d’un clocher blanc couvert par la neige, d’une rivière bouillonnante, d’un pont fracassé et de ces maudits flocons qui tombaient inexorablement et doucement, portés par le vent frais du crépuscule.
Je marchais avec difficulté dans cette neige épaisse, blanche et immaculée mais j’entrai tant bien que mal dans cette ville étrange et silencieuse qui semblait ne posséder aucun habitant.
La nuit tombait, froide, sinistre et noire, aussi je me réfugiai dans l’Eglise, sombre bâtisse couverte de neige, me protégeant ainsi de la tempête de neige. Je poussai la lourde porte sur ses gons et je pénétrai dans la nef.
Je marchais sur le sol et à chaque pas, de la poussière s’envolait en petits nuages brumeux. Aucune lumière n’était visible mis à part ces bougies qui brulaient faiblement et tranquillement. Celles-ci donnaient l’impression d’une malfaisance profonde dans cette Eglise étrange et sombre.
Quoi qu’il en soit, je pivotais sur moi, essayant de percer l’obscurité grandissante. Après m’être aperçu que je ne le pourrais pas, je m’allongeais sans réfléchir sur le sol glacé. De l’Eglise. Je ne serais pas protégé du froid mais au moins, je ne serais pas enseveli sous la neige.
Je m’endormis rapidement, après que mon regard ait de nouveau tenté en vain de pénétrer la sombre obscurité de l’Eglise et voir ce qu’elle cachait. Je tombai dans des cauchemars profonds, perturbés par le lugubre sifflement du vent.
Errer serait mon Devoir comme Vivre avait été mon Erreur.
Le Temps serait mon Calvaire et mon Malheur.
Le lendemain, je me réveillai, transi de froid et ces mystérieuses phrases dans la tête. Je sortis de l’Eglise rapidement, sans penser à la visiter – sentiment qui m’avais pourtant démangé la veille au soir -, animé d’une peur étrange et malsaine.
Le Ciel était blanc, la neige tombait, inexorablement et le Soleil était comme à son habitude : pâle et bas.
Je me demandais si des gens habitaient cette ville mais je ne le croyais pas : l’Hiver durait depuis longtemps, la ville était silencieuse et le monde était Mort.
Je ne savais pas ce que je faisais dans cette ville. Cependant, contre mon gré, je me remis en marche, mon lourd gilet sur les épaules, transi par le froid. Mon pas lourd faisait craquer la neige sous mes pieds frigorifiés, seulement protégés par de fines chaussettes.
Tandis que je marchai, je me rendis compte que je n’avais conscience de rien : ni de la faim, ni de ma personnalité, ni de la fatigue. Je ne me posais pas de questions, et de toutes façons, je ne l’aurais pas pu.
Perdu dans mes réflexions, cherchant vainement mon nom et mon identité. J’arrivai sans m’en rendre compte devant le pont. Il était disloqué et le torrent bouillonnant était infranchissable : je me serais écrasé contre les rochers si j’avais osé traversé la rivière. La route était donc bloquée, et j’étais moi-même prisonnier de cette ville.
Sans réfléchir, je me dirigeai de nouveau vers le clocher solitaire - sombre colonne sortant d’un océan de coton -, comme attiré par une force invisible.
Cette ville, à l’image de son clocher, était étrange. Trop peut-être. Mais je ne m’en rendis pas comte sur le champ, plongé dans un rêve – ou un cauchemar - profond. Elle emprisonnait ces visiteurs dans un dédale infranchissable, tel un labyrinthe.
Les toits étaient couverts de neige mais ils rendaient cette ville non pas plus lumineuse mais plus sombre, obscure, ténébreuse. Aucune de ces mots ne la décrit fidèlement, tant le sentiment de malaise et d’oppression était grande dans ce hameau perdu.
Je rentrai de nouveau dans l’Eglise. Je passai la porte et me retrouvai de nouveau dans la nef. Les bougies brulaient inexorablement, faiblement, calmement. Je m’arrêtais pour les regarder vaciller sous le vent. Pas une ne s’éteignaient. Aussi, je décidais d’en prendre une et de la plonger dans la neige pour voir si elle s’éteignait. J’essayai de prendre une bougie mais elle était impossible à décrocher, comme soudée, au rebord d’un vitrail. Je trouvais cela étrange, mais ne m’inquiétais pas plus. Je continuai donc mon chemin.
Je m’engouffrai dans l’allée centrale, contemplant les vitraux faiblement éclairés par les pâles rayons du Soleil, donnant à la nef une ombre fantomatique. Etrangement, je n’arrive plus à les décrire fidèlement, comme toutes les abominations de cette Ville.
J’arrivai au fond de l’Eglise et une porte ouverte conduisait à des escaliers, escaliers que je n’avais pas vu la veille, car trop plongés dans l’obscurité. Une partie des escaliers montaient vers le sommet du clocher de l’Eglise. Mais les autres – et c’était le plus étrange – descendaient vers les entrailles de la Terre.
Je décidai de monter. Après ne nombreuses marches et de nombreuses minutes, j’arrivai enfin au sommet du clocher. Ce que je vis ne m’étonna point : de la neige à perte de vue, longue surface blanche s’étalant sur l’horizon. Le Monde était plongé dans un Hiver sans fin.
Puis, je redescendis les escaliers. Je ne trouvai plus la porte menant à la nef et je commençais à paniquer, ne pouvant plus quitter cette ville infâme. Je doute que j’y aurais réussi de toutes manières : j’étais comme dirigé par une force invisible.
Je descendis les escaliers quatre à quatre puis je les dévalai, pris par une peur indescriptible. Je ne les comptai plus quand tout à coup, je tombai n’ayant pas anticipé la fin brutale des escaliers qui s’achevaient dans les ténèbres, devant une porte.
Je fus soulagé de trouver enfin une issue et je me persuadai que j’avais du rater la porte plus haut, plongé dans l’angoisse autant que dans l’obscurité. J’avais l’impression angoissante que je me trouvai bien en-dessous du niveau du sol.
Au-dessus de moi, la cloche sonna. Fait inexplicable puisqu’il n’y avait personne dans la ville à part moi. Et je repris peur. J’ouvris la porte tellement sèchement, que, usé par le temps, elle sortit de se gons et s’effondra sur le sol dans un grand nuage de poussière.
L’obscurité que j’attendais n’existait pas. Ce fut une lumière blanche qui m’accueillit. Je fus ébloui par cette pâle lumière. Quand mes yeux furent habitués à cette clarté, je pénétrai à travers l’encadrement de la porte écroulée.
Après l’avoir traversé, je m’aperçus que de la neige tombait à gros flocons, tel un nuage de brume. Et que mes pieds n’étaient plus sur de la pierre froide mais sur de la neige glacée.
Je ne comprenais plus rien. J’étais sous la surface du sol et un nouveau monde s’étalait sous mes pieds qui ne cessaient d’avancer, contre mon gré.
Je ne me rappelai de rien à part de cette ville maudite, rien qui puisse expliquer ces mystérieux phénomènes qui allaient me rendre fou si ils ne s’arrêtaient pas. Je me demandais même si je ne l’étais pas déjà, tant la scène était incongrue.
Je marchais inexorablement, le calme revint peu à peu dans mon esprit et l’angoisse s’en alla rapidement, comme si j’étais apaisé par cette neige fine et cette contrée perdue et morte.
Après quelques temps qui durèrent des heures, j’aperçus une ville au loin. L’espoir s’empara de moi. Et si je n’étais pas le seul finalement ? Malheureusement, toutes les bonnes choses ont une fin, et quand je m’approchai de la ville, la peur me prit de nouveau : c’était la même ville qu’avant. Le même clocher, la même rivière, le même pont…
J’accélérai le pas mais je n’atteins pas la ville avant le crépuscule. J’avais un étrange sentiment de déjà vu. Et c’était le cas.
La nuit tombait, quand, inexplicablement, j’ouvris la même porte, contemplant les mêmes vitraux et m’endormis sous le le même clocher, sur le même sol glacé.
Errer serait mon Devoir comme Vivre avait été mon Erreur.
Le Temps serait mon Calvaire et mon Malheur.
Le lendemain, j’avais les mêmes phrases inscrites dans mon esprit, je pris de nouveau la direction du pont, je rebroussai de nouveau chemin, je pénétrai de nouveau dans l’Eglise, je montai de nouveau les escaliers, je les descendis de nouveau en les dévalant, j’ouvris de nouveau la porte sèchement, je fus de nouveau ébloui par la lumière de la neige, et je me mis de nouveau à marcher.
Inexorablement.
Je me disais que j’étais fou ou que je faisais un cauchemar. Mais je n’arrivai pas à me réveiller. Perdu dans mon esprit cherchant vainement une solution, je commençais à me souvenir. Mais dès que je croyais trouver la réponse à cette énigme, elle s’envolait. Alors j’attendis qu’elle vienne à moi d’elle-même. Et c’est ce qu’elle fit.
Et alors, je me souvins : j’avais Disparu. Je me souvenais de m’être endormi, puis ça avait été le Vide Total. Je ne me souvenais plus de rien à part de ce basculement dans le Vide. C’était une sensation étrange, comme si j’avais plongé dans un abîme sans fin, sombre. Inconscient. J’avais quitté la Vie pour quelque chose de plus sombre, froid, mais quoi ? Comment s’appelait la chose dans laquelle j’étais tombé ? Après la chute dans le Vide, ma conscience était apparue dans cette contrée enneigée, morte, sans que je ne me souvienne de rien.
Je me rappelai : j’avais été condamné à errer jusqu’à la fin de l’Eternité pour mes crimes de misérables humains. Je compris les horreurs que j’avais infligées, les douleurs que j’avais engendrées sans vouloir les commettre pour la plupart. Mais c’est le défaut d’un humain : il ne se rend pas compte de ses actes, ou seulement quand ils sont irrémédiables.
Je voulais m’arrêter, je n’y arrivais pas. Je voulais hurler, je n’y arrivais pas. Je voulais courir, je n’y arrivais pas. Je ne voulais plus marcher, mais marcher, j’y arrivais sans problème et contre mon gré en plus.
Je devais errer jusqu’à la fin des Temps, jusqu’à la fin de cet Hiver lugubre, sinistre et froid. Pour comprendre.
Et je devrais marcher. Je compris que j’étais immunisé de la faim, des blessures, de toutes les choses qui peuvent nuire à un homme. Mais là, ces choses ne m’auraient pas nui, au contraire, elle m’aurait sauvé de ce calvaire qui commençait tout juste, auquel je ne pourrai échapper.
Je ne me souviens plus de ce qui arriva ensuite. Je devins fou, ou je mourus de nouveau, ou je compris, ou autres choses. Je ne sais pas. Même si la possibilité la plus probable est celle-ci : je dus errer jusqu’à la fin de l’Eternité.
J’avais été victime de la Vie, du Temps et de mes crimes d’Humain, misérable et mauvais.
Errer était mon Devoir comme Vivre avait été mon Erreur.
La Mort et le Temps seraient mon Calvaire et mon Malheur.
Errer est un Devoir comme Vivre est une Erreur,
La Mort et le Temps sont un Calvaire et un Malheur.